Il y a, au mur de notre cuisine, un petit cadre électronique qui nous rappelle des souvenirs photographiques stockés au préalable sur une clé USB connectée à l’appareil.
Tout à l’heure c’était notre première scène de famille avec Noa à l’orphelinat d’Amba, à Addis-Abeba, que le Magic Frame nous montrait. En ce 3 juilllet 2013, on y voit Carolle et moi-même tenir dans nos bras à tour de rôle le petit Befikadu, 6 mois, que nous allons adopter.
Pourquoi lui plutôt qu’un autre, mais surtout pourquoi cette expression de joie sérieuse sur les visages des trois participants à la scène ? Car il s’agit bien de cela : « une joie sérieuse », comme si nous savourions cet instant de notre première rencontre, comme si nous l’attendions et nous réjouissions avec confiance que le moment de nous trouver (de nous retrouver ? ) soit arrivé. Le premier réflexe d’un bébé retiré du berceau qu’il partageait avec un autre et littéralement jeté dans les bras d’un inconnu blanc avec une drôle de tête aurait été de pleurer à chaudes larmes. Mais non, il me regarde de ses grands yeux bien ouverts et un petit sourire discret plane sur ses lèvres. Moi non plus je ne pleure pas et Dieu sait pourtant si j’étais ému. Je fixe mon fils avec la pleine conscience que c’est désormais mon fils pour toujours et je ris.
Sur d’autres photos du deuxième voyage, un mois plus tard, où nous allions signer tous les Actes et rentrer à la maison, on voit Befikadu sortir de l’orphelinat collé par un kangourou contre la poitrine de sa mère et seul un pacha qui entre dans son bain parfumé aux huiles rares peut avoir la même expression de béatitude, seul un amoureux dans les bras de sa belle peut sourire avec un tel abandon.
Ce n’est que plus tard, grâce à Axum, notre guide et chauffeur sur place que nous avons su quelle était la signification de Befikadu en Amharique : « par Sa Volonté ». Cela ne nous a pas étonnés outre mesure. Jamais, dans toute ma vie, je n’ai eu la certitude aussi profonde que je n’étais que l’humble instrument du Destin, que cet enfant n’avait fait que retrouver sa famille, que c’est la main de Dieu qui avait sauvé Noa de l’endroit peu ragoûtant où il avait été abandonné, qu’il avait en lui une lumière plus forte que tout.
Et que cette lumière irradiait désormais aussi un peu en nous.
Notes :
- Nous avons décidé d’appeler notre fils Noa qui, en hébreux, signifie à la fois repos et consolation.
- Nous avons officiellement conservé Befikadu parmi ses autres prénoms et il n’est pas rare que je l’utilise pour m’adresser à lui.
- Amba, en amharique, signifie haut plateau fortifié.