Je n’écoute le monde qui m’entoure que d’une oreille gauche distraite. La droite, dont le tympan est plus abîmé, sert à analyser et à essayer de comprendre ce qui se passe en moi.
Par ailleurs, je ne regarde les gens que d’un œil ; l’autre me sert à voir ce qui nous entoure ou à faire semblant de m’y intéresser.
Je n’écris et ne mange que d’une main ; l’autre me sert à guider le balai quand il faut nettoyer le sol ou à me gratter la tête quand j’écris.
Je ne renifle le monde que de la narine droite ; l’autre me sert à décortiquer des parfums de femmes que j’associerai ensuite pour toujours à leurs personnes.
Je compte l’âge que j’ai au compteur et les années qui me restent à vivre selon les statistiques produites par mon cerveau gauche et forcément, ça fiche un peu le cafard au droit qui ne demande qu’à pleurnicher.
A la suite d’un accident à la jambe droite, je me lève presque systématiquement du pied gauche, ce qui n’est pas fait pour me rendre populaire dans les milieux que je fréquente où il est bien vu de se lever du pied droit chaque matin, puis de sourire toute la journée comme si on était heureux.
J’ai des tonnes d’excuses et d’explications d’ailleurs : mon œil droit et mon oreille droite sont nettement plus faibles que leurs homologues de gauche, comme si l’usure s’y était installée, comme si mes émotions, mes sensations, mes intuitions s’étaient peu à peu émoussées alors que prospérait en moi l’analyse, la parole l’écriture, mais peut-être s’agit-il d’un pur hasard ou d’une fâcheuse prédisposition héréditaire.
J’ai la partie droite du visage plus douce, plus féminine, les sourcils sont plus bas et plus fins et les paupières laissent voir une grande quantité de blanc tandis qu’à gauche il est comme plus enfoncé dans son orbite. C’est l’œil qui voit le mieux et la partie la plus masculine de mon visage. Les muscles des mâchoires y sont plus visibles et les sourcils plus hauts perchés, plus épais et plus broussailleux.
Malgré toutes ces différences, nous nous entendons assez bien, lui et moi, et nous avons convenu que quand l’un des deux hémisphères s’en ira, l’autre ne restera pas seul et l’accompagnera.