Roues

On ne devine et on n’apprend que ce qu’on savait déjà tout comme on ne reconnaît que ceux qu’on a connus jour.

La vie, ce sont deux grandes roues, celle du corps et celle de l’esprit, dont les dents remplissent inexorablement les creux l’une de l’autre quelle que soient la vitesse où elles tournent.

Mes bras se tendent comme pour échapper à la routine comme pour trouver désespérément du nouveau, un autre être que moi-même qui n’ai jamais vraiment changé et qui ouvre chaque matin les yeux à mille aubes pareilles.

Dans une prochaine vie, s’il en existe, je voudrais découvrir ce que personne ne sait encore, m’étonner devant des êtres et des voix inconnues, repérer dans le jardin une senteur que je n’aie jamais goûtée, une couleur inédite, un bruit qui m’étonnerait vraiment et un fruit dont le goût laisserait mes papilles longuement pantoises.

Dans la vie suivante s’il en existe plus de deux, je voudrais qu’il y ait une infinité de roues avec leurs mouvements propres et indépendants les uns des autres, des roues qui ne serviraient à rien d’autre qu’à montrer les beautés de leurs girations, des roues sur lesquelles chacun pourrait s’étendre pour regarder le ciel tourner plus ou moins vite et les étoiles danser chaque jour une gigue nouvelle.

Dans la troisième vie (jamais deux sans trois), mes bras se tendraient vers toi qui ne voit pas le monde comme moi, qui sais des tas de choses que je ne sais pas, qui a planté au jardin des arbres que je n’avais jamais vus auparavant, distingué dans l’arc-en-ciel une couleur qui avait échappé à mes sens, ralenti les roues qui tournaient trop vite pour qu’on puisse s’y coucher seuls ou à deux, cueilli le fruit défendu qui délivre des dieux et de la vie éternelle, aidé à me remémorer les souvenirs les plus anciens de mes autres vies et l’inflexion de cette voix que je n’entends pas pour la première fois.

Car on ne devine et n’apprend que ce qu’on savait déjà tout comme on ne reconnaît que ceux qu’on a connus jadis.

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