J’ai faim de toi

J’ai faim de toi comme d’une mangue juteuse.

De ta silhouette, de ton pas, de ta voix.

Rarement j’en ai assez de toi, de tes humeurs, de tes silences et de tes plaintes.

Le plus souvent j’ai soif de toi comme d’une bière forte qui réchauffe.

De tes sourires, de tes soupirs, de tes fous rires.

Mais qu’est ce tu m’énerves quant tu sais tout sur tout, que tu donnes ton plus beau manteau à la mendiante, que tu parles interminablement entre tes dents.

Pourtant Dieu sait si je les aime, tes dents, et tes yeux en amande et ta carrure herculéenne.

Dieu sait aussi si j’aime ta peau brune et lisse, tes muscles d’amazone, tes longs bras et tes longues mains qui n’en finissent pas.

J’aime aussi tes jambes interminables et tes longs pieds parés de motifs et de couleurs improbables.

J’aime quand tu rêves de choses que les autres ne voient pas mais qui, un jour ou l’autre rejoignent la réalité que tout le monde voit.

Je n’aime pas ton entêtement, mais je salue ta volonté, ton courage et ta ténacité.

Je n’aime pas toutes tes coiffures mais j’aime presque tous tes tatouages et ton odeur au petit matin.

J’aime tes kabas, les bijoux en pierres brutes que tu portes et tes chaussettes fluos.

J’aime ton élégance vestimentaire (chaussettes exceptées) et l’élégance de ton âme.

Je n’aime pas ceux qui profitent de ta bonté et te jettent ta différence au visage.

J’aime la mère que tu es pour notre fils et la patiente infimière qui s’occupe de moi comme aucune autre ne le ferait.

En un mot, je m’aime mieux moi-même depuis que je t’aime toi.

J’ai mangé mon pain blanc

Au fil des ans, j’ai mangé mon pain blanc, mon pain gris, mon pain noir qui collait aux dents, puis j’en ai picoré les miettes, remis le couvert, mangé mes croûtes, rongé mon frein et l’os qu’ils m’avaient charitablement jeté.

J’ai mangé, à tous les râteliers, les pissenlits par la racine, mon blé en herbe, mon héritage.

Puis j’ai mangé de la vache enragée, mon chapeau, ma parole, suis revenu à leur table la queue basse.

J’y ai bu de grands Crus de Chambertin, puis le passetoutgrain, le gros rouge des mendiants et même le vinaigre sur l’éponge que me tendait ce brave centurion.

J’ai bu à la santé des autres tandis que la mienne déclinait, j’ai bu commme un trou les paroles de mes maîtres, puis j’ai vomi leurs actes. J’ai eu faim et soif alors qu’il y avait en toutes choses encore à boire et à manger.

C’était ma limite, c’était la fin. Sur mon île, quand ils m’eurent ostracisé, j’ai mâché des racines de ciguë et bu de l’eau de mer, puis j’ai attendu que mes mains se raidissent, que la paralysie enveloppe jusqu’à mon vieux cœur fatigué et que les albatros viennent faire de moi leur festin en commençant par mes yeux bleus grands ouverts.