Les jours allongent le pas

Les jours allongent chaque jour un peu plus et s’entassent entre mes mâchoires serrées.

Je mâche et remâche la poussière crissante du passé.

Que m’importe qu’il fasse plus nuit que jour ou plus jour que nuit à présent.

Je me revois arpentant les sentiers forestiers, photographiant les fleurs, nommant les arbres et les champignons : états de grâces dont, sans doute, je n’ai pas assez profondément joui.

Au moins aurai-je tenté de les partager et de les graver dans nos mémoires.

Je me revois au tableau, aux fêtes de mes amis et ne sens plus ces regards échangés sans un mot qui nourrissaient ma quiétude.

J’étais un nounours, un roc, un électron libre ; je suis poussière, gravillons de vie qui irritent ma gorge désormais muette.

Je croise des mots dans des grilles, relis de vieux livres, me passe en boucle Wayne Shorter qui vient de nous quitter sur la pointe des pieds.

Les jours allongent, mais ceux qui m’attendent restent inconnus et étranges.

Combien m’en reste-t-il et vaudront-ils la peine d’être pleinement vécus ?

Je regarde une par une toutes mes photos du passé : ces jours heureux et insouciants reviendront-ils ?

Les jours allongent : bientôt il va faire chaud et je retrouverai la caresse ou la brûlure du soleil sur ma peau.

Au solstice cela fera deux ans que je cours après celui qui fut moi-même ou un autre.

Qui est ce « je » toujours là et plus du tout le même ?

Les jours s’entassent et mes mâchoires se desserrent peu à peu pour laisser passer l’air, la nourriture et le son de ma voix.

La poussière mouillée redevient statue sous mes doigts tremblants et maladroits.

Une seule chose est sûre : une fois de plus, le printemps est là.

Une réflexion sur “Les jours allongent le pas

Laisser un commentaire