Dans mes quintessences, il y a le temps qui fuit, ne rétrécit jamais et, au contraire, amasse ses traces comme les striures laissées par une foule de patineurs à la surface d’un lac gelé où des milliers de patineurs se sont rassemblés un dimanche lumineux d’hiver.
Dans mes quintessences, il y a des virgules, des cédilles, quelques points d’exclamation et une infinité de points d’interrogation semblables à des hameçons qui trainent sous la surface de l’eau dans la patiente attente que ça morde et que nous en sachions enfin un peu plus.
Dans mes quintessences, il y a toujours plus de vers, de versets, voire se simples phrases, glanées dans des livres que mes doigts ont un jour feuilletés et dont, souvent, j’ai oublié les titres et les auteurs. Ils me servent de radars, de radeaux, de méduses, de cadeaux, de râteaux qui me ramènent en petits tas au plus intime de moi et au plus près de toi.
Dans mes quintessences, il y a ta voix chaque année plus grave, qui gazouille, m’agace parfois, m’émerveille souvent et apaise mes peurs que rien de vraiment vivant ne subsiste de mon être ici-bas.
Dans mes quintessences, il y a le tintement du clocher du village dont l’horloge avance de deux minutes depuis que je l’écoute quand le vent vient du nord, le gargouillis de la bouilloire quand l’eau va être assez chaude pour préparer le thé, la gaze cristalline des notes de Bill Evans quand il effleure son clavier la clope au bec et le regard ailleurs, la trompette de Miles que sa sourdine transforme en soie sonore qui, parfois, m’arrache des larmes et les accroche aux étoiles filantes.
Dans mes quintessences, il y a ton regard posé sur moi depuis bien longtemps et dont la bienveillance paisible me regarde vieillir, et m’aime, et me console.
Il y le soir qui tombe chaque jour un peu plus tard, le matin qui tarde moins longtemps à blanchir les rideaux, les midis pâlots sous les averses d’un ciel de plomb.
Il y a mon cœur qui a toujours battu trop vite, ma tête lourde, mes yeux qui ne sont vraiment bleus que l’hiver, ton pas léger dans l’escalier quand tu pars travailler et l’étonnement d’être là une fois de plus à tendre l’oreille pour l’écouter s’éloigner.