Le puits

D’aussi loin que je me souvienne de mes nuits, ce cauchemar revient obstinément : je suis au fond d’un puits, dans l’eau pure et glacée. J’ignore si on m’y a poussé et qui, si j’y suis tombé par mégarde ou si je m’y suis volontairement précipité.  

Comme une grenouille, je remue les jambes pour rester à la surface, mais mes lourds vêtements trempés engourdissent mes mouvements et je n’ai bientôt plus la force d’appeler au secours, ni de battre des pieds, ni de brasser l’eau froide. Je m’agrippe alors aux interstices du mur de briques et de moellons, mais je sens que, de ce côté aussi, mes forces faiblissent rapidement. Alors je jette un dernier regard au cercle de lumière, là-haut, et me résous à respirer l’eau qui remplit bientôt mes poumons et m’asphyxie rapidement.

Au moment de perdre conscience, je me réveille, dégoulinant de sueur et toujours sous le choc de mon décès inopiné. Il me faut souvent plus d’une heure pour me calmer et retrouver un sommeil qui reste agité jusqu’au petit matin.

Je fais toujours ce rêve hideux et pénétrant un demi-siècle plus tard et rien ne me serre plus le cœur, dans les faits divers télévisés, que le récit de malheureux prisonniers d’un puits, d’une mine ou d’une grotte que des équipes de sauveteurs recherchent en espérant les retrouver en vie et les ramener à la surface.

Je m’en sens doublement malade lorsqu’il s’agit d’enfants et, en cas d’issue fatale, il m’arrive de traîner une semaine entière une espèce de mal-être, de tristesse, de compassion que je ne ressens que quelques minutes en cas de crashs d’avions, de bombardements mortels ou d’atroces accidents de voitures.

Je n’ai évidemment jamais vu ni Titanic, ni lu 20.000 lieues sous les mers, suis incapable d’écouter Esbjörn Svensson sans pleurer de rage et ne me suis jamais baigné dans la mer.

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