Songe

Songe aux brumes fines sur la mer dont l’Est prend une teinte rosâtre, puis orangée et dont l’Ouest reste d’un noir d’encre.

Songe aux sables brûlants du désert où l’air surchauffé ondule et que d’improbables oasis parsèment de vie et de troupeaux alanguis de chameaux chargé d’étoffes et de plaques de sel.

Revois dans les méandres de tes neurones les villes blanches où rien de vivant ne bouge entre midi et cinq heures et les bourgades grises du Nord où il fait nuit dès le milieu de l’après-midi, où des ombres recouvertes d’épais manteaux s’arrêtent aux vitrines illuminées de Noël.

Repense à tous ces jours que tu as vécus, à tous les pains gris ou blancs que tu as mangés pour être encore vivant aujourd’hui, à tous ces êtres que tu as mal ou bien aimés et qui, parfois, t’ont rendu le centuple en retour.

Relis les poèmes naïfs ou prophétiques que tu écrivais à seize ans, d’une plume maladroite, mais déjà passionnée par les rythmes, le mystère des êtres et l’énigme absolue des choses qui sont là sans savoir qu’elles sont là.

Redis à voix basse les comptines que tu chantais dans ton enfance, les prières que l’on t’a enseignées, les textes des maîtres que l’on t’a fait apprendre par cœur et qui résonnent encore en toi comme les pièces d’or égrenées d’un trésor.

Revis les premiers émois amoureux fantasmagoriques de tes premières amours qui n’existaient que pour la joie béate de te sentir amoureux, de te sentir rougir quand telle silhouette bien précise te frôlait sans même savoir quelle chaleur soudain gonflait tes veines de vagues avenirs partagés.

Repousse tes échecs comme autant de victoires qui n’ont juste pas eu lieu et savoure tes réussites comme autant de cadeaux que la vie t’a offerts et comme autant d’étoiles qui ne s’effaceront pas du ciel tant que tu respires encore, tant que tu crois fermement qu’il en existera d’autres.

Reprends la plume tant qu’il reste de l’encre dans l’encrier et le plaisir de sentir les mots jaillir de ta poitrine comme une source frêle qu’aucune canicule ne peut tarir, qu’aucune douleur de peut affadir, qu’aucune nuit sans lune ne peut assombrir à jamais.

Et songe à l’enfant qui, derrière les vitres embuées de sa chambre, enfoncé jusqu’au nez dans sa couette, rêve de jeux nouveaux avec ses amis, de petits déjeuners bruyants avec ses frères et ses cousins, de paquebots qui fendent les eaux vers de nouveaux mondes où les gens, en tenues bariolées, attendent qu’ils abordent pour les couvrir de guirlandes.

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