Suzie

A Lorquin, ils m’ont tout de suite donné une chambre individuelle avec douche, armoire, téléviseur, fenêtre oscillo-battante et, à l’exception des parfums, rasoirs et briquets qu’il fallait déposer et réclamer chez les infirmiers, chacun restait maître de ses biens et la bibliothèque, accessible jour et nuit, était particulièrement riche. J’y ai lu des recueils d’anciens contes de la Moselle, un ouvrage merveilleusement illustré sur l’œuvre de Chagall maître verrier, « Le travail fantôme » d’Ivan Illich, et j’ai commencé « Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur », d’Edgar Morin.

Autour de moi, une espèce de tableau de Jérôme Bosch animé défilait : un gaillard perpétuellement en boxer et se frappant la poitrine, une avocate récitant en latin des morceaux de Droit Romain, une grunge avec son smartphone débitant du rap à tue-tête du matin jusqu’au soir, un jeune homme qui, la bave aux dents, faisait crisser ses baskets sur le carrelage à chaque déplacement et bien d’autres apôtres du même tonneau.

Et puis il y avait Suzie. Ah Suzie ! Elle devait avoir dépassé les 70 ans depuis quelques années et elle avait le bras plâtré :

  • C’est mon mec. Il m’a donné un coup de téléphone, mais trop fort et l’os n’a pas tenu.

A part cela elle m’avait pris tout de suite en affection et on ne se quittait plus. Quand elle bougeait, je bougeais, quand elle était assise je restais assis et bien souvent, en la suivant jusqu’à sa chambre je gagnais le droit à un café qu’elle fabriquait sur sa table de nuit avec une bouilloire électrique. Dieu sait depuis combien de temps Suzie était pensionnaire de ce lieu et si sa santé physique et mentale lui permettrait un jour de rentrer chez elle. Elle n’en parlait jamais faute de le savoir ou faute de le vouloir.

Je n’ai passé que cinq jours dans cette institution, mais avant que je ne m’en aille, elle a filé dans sa chambre et ramené un Teddy Bear qu’elle m’a mis dans les mains :

  • Tiens ! C’est pour ton fils ! Tu lui diras que c’est de la part de Suzie.

L’ourson est toujours sur son lit un an plus tard et, comme j’avais eu la bonne idée de noter son numéro de portable, je prends de ses nouvelles de temps en temps.

Je lui manque, paraît-il.

C’est quand-même un drôle de truc, la vie !

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