Tu t’es cru sur parole

Tu t’es cru sur parole et tu t’es vu voyant.

Tu t’es cru pierre, tu étais sable, roche moulue par la fuite du temps, poussière emportée par les eaux, aspirée par les vents, en petits tas au bas des pentes, amassée.

Tu t’es cru toupie de bois dur et tu étais sciure, copeaux arrachés mêlés d’huile minérale sur les dalles de l’atelier du tourneur.

Tu t’es cru toi, mais tu étais reflets sur l’écran rouge des rétines des autres priés à genoux de t’aimer un peu, beaucoup, passionnément, mais toi, dis-moi, les as-tu aimés à la folie une seule fois, les as-tu désirés comme un trésor, sont-ils devenus un peu ta chair, parfois ton sang versé ?

Tu leur as donné ce que tu gagnais, ce que tu savais, ce que tu pensais, ce que tu croyais croire, mais leur as-tu offert qui tu étais pour peu que tu l’aies jamais su ?

Tu t’y es cru, mais où exactement et qui étais-tu, toujours pressé de filer, bien nulle part ni avec personne, éternel voyeur, voyageur sans but, convoyeur en attente, sans véritable espoir, sans opiniâtre patience, sans soif torride à apaiser.

Tu t’es cru croyant ou messie, nippé de croix et de chasubles, bonimenteur de foires, clown triste au sommeil hachuré, aux bretelles ballantes, au nez rouge échaudé.

Tu t’es cru fort, jeune, éternel, mais le temps t’a élimé jusqu’aux fibres nues de tes veines rétrécies où court un sang pauvre qu’aucune blessure n’a jamais vivifié, purifié, renouvelé.

Tu t’es promené sur la pointe des pieds à la surface du globe sans y creuser ton trou, sans y planter assez d’arbres, sans plonger tes mains dans la glaise, sans y écorcher tes doigts trop fins pour être honnêtes.

Tu t’es cru vivant et tu l’étais sans aucun doute, même peu, même mal.

Tu te crois mort à présent, mais tu es condamné à vie, à la peine capitale, aux insomnies, aux frissons, aux joies frêles.

Tu es toi et un autre, tous deux à recueillir entre tes paumes tremblantes, à concilier, à incarner dans la boue herbeuse qui demeure à fouler à perte de vue jusqu’à l’horizon.

Il y volète des papillons blancs.

Patauge, badaud pataud, mais rêve obstinément que tu gambades !

Une réflexion sur “Tu t’es cru sur parole

  1. Bonsoir mon ami, Tu es toi et toi aussi Benoit, pas 2 personnes. Tu es en train de te réapproprier ta personnalité, comme avec ce magnifique texte, riche de en figures de style, en mots rares, tellement à ton image. Fais ton chemin mais au fond de toi rien a changé. Les blessures de la vie pour les personnes sensibles sont cruelles et font mal longtemps mais crois-moi tu n’as pas changé. Tu as pris de l’âge, des blessures et des cicatrices comme tout le monde. Je t’aime et merci de tes partages de textes.

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