Prénoms et surnoms

Comme beaucoup d’autres personnes, j’ai reçu, au long de mon existence, toutes sortes de prénoms et surnoms.

La première dénomination, Benoît, est un peu plus ancienne que moi. Elle était portée de longue date in pectore par mes parents qui vouaient une vive admiration aux ordres bénédictin et cistercien et à Benoît lui-même, proclamé récemment saint patron d’une Europe déchristianisée et pourtant profondément bénédictine à bien des égards.

La deuxième, mi ptit poyon, était une dénomination affectueuse de mon grand-père maternel et parrain que ma naissance avait, paraît-il, aidé à sortir de la maladie et rendu goût à l’existence.

La troisième, mi ptit fi, était un titre parfaitement objectif que ma grand-mère maternelle m’avait attribué, pour rappeler fièrement et à tout instant qu’elle était ma grand-mère et il est vrai qu’aucune autre femme probablement ne m’a plus aimé qu’elle.

La quatrième, Lolo, répétition de la première syllabe de mon nom de famille, était utilisée par mes copains de l’école secondaire (et pas seulement ceux de ma classe) et continue à n’être utilisée que par eux. Tandis que je prospérais en largeur, ils ont ensuite évité de faire évoluer le surnom en Gros Lolo, ce dont je leur suis reconnaissant à jamais.

La cinquième, Ben, très souvent attribuée, j’imagine, à ceux qui s’appellent benoîtement Benoît n’est utilisée que par mes collègues et amis de l’école où j’enseigne. Non seulement, ce monosyllabisme accentue le rapport de familiarité et de proximité, mais il ajoute aussi l’espèce de prestige que confère l’anglicisation, ce que connaissent bien les Joseph devenus Joe, les Grégoire devenus Greg (parfois en passant par la case Gregory) et les Matthieu devenus Matt.

La sixième, Big Ben, me semble à cheval entre la taquinerie et l’affection. Ce que d’aucuns n’avaient pas osé avec Gros Lolo qui eût effectivement détonné, ils l’ont osé sans vergogne, en revanche, avec Big Ben qui ne fait probablement pas référence à ma taille en hauteur et qui met un peu de pommade dans le poil à gratter par le truchement d’un monument anglais universellement connu.

Le septième, Yoni, reste pour moi un mystère. Il ne fut employé pendant de longues années que par mon ex-femme et mère de mes deux filles et est la transcription castillane de Johnny. Si un jour je deviens chanteur ou cow-boy, je ne manquerai pas de m’en resservir.

Le huitième, ma Poule, n’est utilisé que par deux médecins : l’un qui est un de mes plus proches amis depuis plus de 45 ans et l’autre qui me soigne. Je n’ai jamais très bien su si je devais m’en inquiéter où y voir la même tendresse protectrice que celle de mon grand-père qui m’appelait poulet.

Le neuvième provient d’un échevin liégeois qui me connaissait fort bien, dont j’avais les enfants en classe et qui, un matin de 15 août, alors que je me baladais avec des amis, s’écria en venant à ma rencontre : « Paul, comment vas-tu ? Ça fait un bail ! ». Ne cherchant que l’harmonie sur cette terre, je lui répondis que fort bien sans autre commentaire, mais le fou rire d’un de mes asticots d’amis n’est pas encore terminé. Il continue à m’appeler Paul et exclusivement Paul, ce qui fait que, pour des témoins externes à notre petit cercle, je suis Paul et personne d’autre.

Le dixième, Ourson, est l’invention plutôt sympathique d’une amoureuse qui aimait manifestement les doux et les poilus, mais qui avait compris que mon caractère était quand-même plus proche du grizzli que du basset artésien.

Le onzième, Lapin, est l’invention de ma femme et j’imagine que ce ne sont pas mes menues oreilles qui lui auront suggéré la métaphore.

Le douzième, Monsieur Lhoest, est certainement, comme enseignant, la dénomination que j’ai le plus entendue et cela fait indéniablement plus sérieux que lapin ou ma poule.

Le treizième, enfin, papa, est celui dont je suis le plus fier : mes deux filles et mon fils sont mes joyaux les plus précieux et sans eux, je ne serais qu’un moine du passé, un monsieur, une poule, un poulet, une horloge anglaise, un lapsus scabinal, un ours ou un lapin.

Ce qui est beaucoup, mais pas assez pour remplir la vie d’un homme.

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